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Ch-teau-de-Guermantes-1.jpgChâteau de Guermantes photo extraite du livre de Suzanne VERNES
 "Guermantes, de Louis XIII à nos jours"
Editions Ferenczi 1961


Reprenons les vingt premières lignes de notre article intitulé " Sur l'origine du mot Combray dans La Recherche " :

Marcel PROUST n'a jamais fait mystère du choix des noms propres de lieux 
et de personnes contenus en si grand nombre dans son oeuvre.A quelques exceptions près, il s'est contenté de les puiser à l'intarissable source de l'existant en s'assurant parfois qu'ils étaient, comme on dit aujourd'hui, "libres de droits".

Son choix se portait, avec quelque hésitation parfois, sur des noms dont l'histoire ou la sonorité faisait vibrer son imagination ; il fallait que son esprit, son coeur et son oreille fussent séduits. Un exemple célèbre, pour les proustiens bien sûr, et qui illustre parfaitement ce propos est celui de Guermantes, petite commune de Seine et Marne située à 30 km à l'est de Paris. Dans une lettre datée du 23 mai 1909 et destinée à son ami Georges de Lauris il écrit :

" Savez-vous si Guermantes qui a dû être un nom de gens, était déjà alors dans la famille Pâris, ou plutôt pour parler un langage plus décent, si le nom de Comte ou Marquis de Guermantes était un titre de parents de Pâris, et s'il est entièrement éteint et à prendre pour un littérateur. --. Connaissez-vous d'autres jolis noms de châteaux et de gens. --. Comment s'appelait votre propriété ? " 

 
Une précision s'impose :  Proust "emprunte" des noms propres soit parce que leur sonorité lui plait et a pour lui un pouvoir onirique particulier qui nourrit son imagination, soit parce qu'ils ont été portés par des gens illustres qui ont marqué l'histoire, l'idéal étant bien sûr qu'ils réunissent ces deux qualités. Mais leur histoire peut n'être pas à la hauteur de leur charme, comme pour "Guermantes"
qui séduira le Narrateur par 

" la lumière orangée qui émane de cette syllabe "antes"

(Du côté de chez Swann - Combray - page 284).

Dans " Noms de pays : le nom ", dernière partie de " Du côté de chez
Swann " nous lisons, page 528 et 529, ce très explicite passage qui dit beaucoup au sujet du choix des noms propres et de l'importance de leur contenu :

" Le nom de Parme, une des villes où je désirais le plus aller depuis que j'avais lu La Chartreuse, m'apparaissant compact, lisse, mauve et doux, si on me parlait d'une maison quelconque de Parme dans laquelle je serais reçu, on me causait le plaisir de penser que j'habiterais une demeure lisse, compacte, mauve et douce, qui n'avait de rapport avec les demeures d'aucune ville d'Italie puisque je l'imaginais seulement à l'aide de cette syllabe lourde de nom de Parme, où ne circule aucun air, et de tout ce que je lui avais fait absorber de douceur stendhalienne et du reflet des violettes. Et quand je pensais à Florence, c'était comme à une ville miraculeusement embaumée et semblable à une corolle, parce qu'elle s'appelait la cité des lys et sa cathédrale, Sainte-Marie-des-Fleurs.   
Quant à Balbec, c'était un de ces noms où comme sur une vieille poterie normande qui garde la couleur de la terre d'où elle fut tirée, on voit se peindre encore la représentation de quelque usage aboli, de quelque droit féodal, d'un état ancien de lieux, d'une manière désuète de prononcer qui en avait formé les syllabes hétéroclites et que je ne doutais pas de retrouver jusque chez l'aubergiste qui me servirait du café au lait à mon arrivée, me menant voir la mer déchaînée devant l'église, et auquel je prêtais l'aspect disputeur, solennel et médiéval d'un personnage de fabliau. "

Et, quelques lignes plus loin, ce magnifique passage :

" ... comment choisir plus qu'entre des êtres individuels, qui ne sont pas interchangeables, entre Bayeux si haute dans sa noble dentelle rougeâtre et dont le faîte était illuminé par le vieil or de sa dernière syllabe ; Vitré dont l'accent aigu losangeait de bois noir le vitrage ancien ; le doux Lamballe qui, dans son blanc, va du jaune coquille d'oeuf au gris perle ; Coutances, cathédrale normande, que sa diphtongue finale, grasse et jaunissante, couronne par une tour de beurre ; Lannion avec le bruit, dans son silence villageois, du coche suivi de la mouche ; Questambert, Pontorson, risibles et naïfs, plumes blanches et becs jaunes éparpillés sur la route de ces lieux fluviatiles et poétiques ; Bénodet, nom à peine amarréque semble vouloir entraîner la rivière au milieu de ses algues, Pont-Aven, envolée blanche et rose de l'aile d'une coiffe légère qui se reflète en tremblant dans une eau verdie de canal ; Quimperlé, lui, mieux attaché et, depuis le Moyen Age, entre les ruisseaux dont il gazouille et s'emperle en une grisaille pareille à celle que dessinent, à travers les toiles d'araignées d'une verrière, les rayons de soleil changés en pointes émoussées d'argent bruni."

Comme le rappelle Elyane Dezon-Jones dans son introduction à la première partie de " Du côté de Guermantes " (édition Garnier-Flammarion de 1987) le choix définitif d'un nom propre a souvent été précédé d'hésitations dont on retrouve la trace dans les différents manuscrits. Ainsi Norpois s'appela d'abord Montfort, Charlus s'appela successivement  Guercy puis Fleurus, Jupien s'appela d'abord Borniche (!), Saint-Loup fut d'abord baptisé Jacques ou Charles de Montargis, Oriane de Guermantes s'appela d'abord Rosemonde de Guermantes, Basin de Guermantes s'appela quant à lui Astolphe de Guermantes, Albertine fut d'abord appelée Marion, Balbec fut d'abord Querqueville puis Bricquebec, et le nom Guermantes lui-même fut précédé de Garmantes ...

Après la parution de " Du côté de chez Swann ", dont il n'est pas inutile de rappeler qu'il n'est que le premier volume de La Recherche qui en compte dix et qu'on ne peut donc prétendre l'avoir entièrement lue, comme le disent beaucoup de gens, si on en a lu que ce premier volume, l'écrivain se rendit donc brièvement à Guermantes pour y remercier les propriétaires du château dont il avait emprunté le nom.  

En 1990, lors d'une conversation téléphonique que j'eus avec Pierre Hottinguer, alors occupant et propriétaire des lieux, il m'apprit qu'une bibliothèque du château recélait encore quelques exemplaires de ce premier volume que Proust avait dédicacés lors de sa visite dont la brièveté ne lui permis sans doute pas d'en voir toutes les pièces car il est très grand, beaucoup plus que ne le laisse supposer la photo ci-dessus, choisie pour son ancienneté, d'ailleurs toute relative.
Si l'écrivain en avait visité toutes les pièces, il y a fort à parier qu'il n'aurait pas manqué de s'attarder devant les deux émouvants tableaux que voici (photos également extraites du livre de Suzanne VERNES, voir ci-dessus) et qui représentent, dans sa rayonnante jeunesse et quelques mois avant sa mort prématurée,
Albertine ... de Guermantes !
(1799 - 1819)


 

                                                                                                                                             

 
Rappelons qu'Albertine n'apparaît dans La Recherche qu'au cours du premier volume des Jeunes filles en fleurs, publié bien postérieurement au passage de l'écrivain à Guermantes où il ne revint d'ailleurs jamais.   
La juxtaposition de ces deux noms, dans la réalité, est une de ces bizarreries comme l'étude de l'oeuvre et de la vie de l'écrivain permet d'en découvrir tant, et parfois d'extraordinaires, qui ne peuvent être dues au simple hasard. D'ailleurs, la vie même de celui qui mène avec empathie ces recherches est souvent marquée par d'heureuses coïncidences

ou d'inexplicables incidents matériels, certains fort gênants.
J'ai, depuis longtemps, l'absolue certitude que l'écrivain n'est pas mort au sens habituel du terme et que, dans sa soif inextinguible d'affection, il s'attache aux pas de ceux qui 
aujourd'hui lui en témoignent parce qu'ils ont reconnu en lui un compagnon de misère.

J'en dirai plus un jour s'il me le permet car l'individu est certes attachant mais terriblement susceptible.


Pierre HENRY

15 décembre 2008

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