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" Ma chère Maman, pense à l'éroïne ! "

Cet article pourrait figurer dans celui que j'ai intitulé "Marcel PROUST : une désastreuse automédication" mais j'ai choisi de ne pas l'y mettre pour préciser son contexte.

En 1953, la Librairie PLON commercialise un ouvrage intitulé "Marcel PROUST, Correspondance avec sa mère, 1887-1905, Lettres inédites présentées et annotées par Philipp KOLB".

Ledit ouvrage contient 149 lettres, dont quelques-unes, très peu à vrai dire, adressées par Madame Jeanne PROUST à son fils. Toutes les autres lettres, écrites de 1887 à 1905 (Madame PROUST est décédée le 26 septembre 1905) sont de Marcel.

Leur lecture a été un choc pour moi car, très vite, une question se pose : comment Madame PROUST a-t-elle pu supporter un tel "emmerdeur" ? un fils qui se plaint, pleurniche et la sollicite constamment, exclusivement autocentré sur sa petite personne souffreteuse, un fils dépensier et manipulateur qui, certes, a probablement beaucoup aimé sa mère, mais la aussi considérée et traitée comme une bonne à tout faire. 

La lecture de ces 149 lettres en dit long sur la personnalité de ce fils hyper-gâté et donne tout son sens, et sa légitimité, à ce terrible jugement de Lucien DAUDET, qui fut pourtant l'amant, au moins platonique, de Marcel : "Marcel est un insecte atroce".

Bref, je mettrai prochainement en ligne quelques-unes de ces lettres, parfois interminables, enchevêtrées et à la limite de la lisibilité. Je ne recopierai aujourd'hui que la dernière lettre du recueil, non datée (mais probablement de 1905, PROUST ayant alors ... 34 ans !) et dont Philip KOLB nous dit "Ce mot à peine lisible est griffonné sur une demi-feuille déchirée". La voici, in extenso et avec ses trois fautes d'orthographe :

" Ma chère petite Maman,

Ne manque pas d'avoir quelqu'un ce soir. Quoique infiniment moins angoissé, je passe naturellement une bien pire journée qu'hier puisque le repos étendu même sans dormir m'a été jusqu'ici impossible et que je fume tout le temps. Tu pourrais à tout hasard te précautionner d'éroïne, quoique je sois absolument décidé à n'en pas prendre, on ne peut pas savoir devant ces crises si peu dans le cours habituel ce qui peut arriver. Il est donc préférable de se tenir sur ses gardes que de faire réveiller un pharmacien cette nuit.

Je suis mieux en ce moment. J'espère que cette pluie va m'améliorer. Aie toujours l'éroïne par prudence. "

Étalée sur dix-huit années, cette correspondance intime est renversante, et l'est d'autant plus quand on sait qu'elle s'intègre simultanément dans un vaste ensemble de lettres au ton, au style, au vocabulaire et aux sujets complètement différents. Marcel PROUST épistolier ? un caméléon opportuniste. 

14 mars 2022

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