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        swann 103

 Page d'un des  62 cahiers de brouillon de Marcel PROUST

prise au début de "Du côté de chez Swann"

(BNF - Gallica)

   

En 1948 le linguiste américain Rudolph FLESCH mit au point une formule dite depuis "formule de lisibilité de Flesch" dont la pertinence lui valut d'être intégrée par l'état du Connecticut dans son code de la consommation (article 38a/699a) qui stipule, entre autres, que, pour être légalement commercialisés, tous les contrats d'assurances (!) doivent y être soumis et y atteindre au moins le niveau 45 ...

Cette formule est, aujourd'hui encore, quotidiennement utilisée par Microsoft pour mesurer la compréhensibilité des modes d'emploi de ses matériels.

Complexe, cette formule attribue, après recoupement de divers paramètres, une note d'autant plus élevée aux textes qui lui sont soumis que leur compréhensibilité est aisée.

Un des principaux paramètres retenus est évidemment la longueur moyenne des phrases qui composent le texte.

Alors que la longueur moyenne d'une phrase d'un ouvrage publié dans la collection "Harlequin" est de 13 mots, celle d'une phrase de Gide est de 20 mots, et celle d'une phrase de Proust de ... 38 mots, la plus longue "couvrirait près de quatre mètres dans une taille de caractères normale, et s'enroulerait dix-sept fois autour de la base d'une bouteille de vin" (Alain de Botton - "Comment Proust peut changer votre vie"). 

Soumise à cette formule, la compréhensibilité de Tintin et Milou est notée + 60, celle d'Antoine de Saint-Exupéry + 30, et celle de Proust ... - 10 !

Cependant cette réputation de difficile compréhensibilité qui, pour certains, caractérise l'écriture de Proust, ne doit surtout pas dissuader le futur candidat à sa lecture qui, sauf à ne disposer que d'un vocabulaire très rudimentaire, ne rencontra jamais de difficulté d'ordre lexicale puisque les mots de Proust, à quelques exceptions près (une petite trentaine au plus, sur les 1.500.000 que compte la Recherche) sont ceux de tous les jours et de tout le monde.  

Le secret de la réussite est de ne jamais revenir en arrière sous prétexte d'incompréhension d'une phrase et de ne jamais lire moins de vingt pages  en une seule fois.

Si une phrase est incomprise il faut quand même continuer la lecture, d'autant plus qu'il est nécessaire d'avoir lu une bonne centaine de pages, pour "entrer" dans le style proustien, pour en saisir la construction certes un peu complexe mais finalement assez répétitive en poupées russes : la phrase principale abrite une ou deux incidentes qui peuvent elles aussi en abriter d'autres.

Donc surtout pas de découragement mais une persévérance confiante qui finira par triompher d'un obstacle que certains jugent d'emblée infranchissable et qu'ils ne font donc aucun effort pour vaincre.


 De 1913, année de sa parution, à 1980 il s'est vendu 1.263.400 exemplaires
de "Du côté de chez Swann" dans le monde et "seulement" 
837.000 exemplaires des "Jeunes filles en fleurs".

Quant aux volumes suivants, si une comptabilité manque à leur sujet, on devine aisément que leur diffusion a été beaucoup plus restreinte. 

Certains lecteurs ne croient-ils pas sincèrement avoir lu toute la Recherche quand ils ont terminé le premier volume, "Du Côté de chez Swann", le plus accessible à tous points de vue et qui se suffit à lui-même ? 

Rares sont celles et ceux qui l'ont entièrement lue, et pour en avoir la certitude quand ils l'affirment avec aplomb, rien de tel que le petit test repris à la page "Marcel Proust et la C.G.T".

Quant à "Jean Santeuil", galop d'essai de la Recherche, ses lecteurs, tous ses lecteurs, rempliraient difficilement la salle d'un petit cinéma de quartier (s'il en existe encore ...). Et pourtant, il y a dans ces milliers de feuillets, découverts longtemps après la mort de l'écrivain et qui ne furent publiés qu'en 1952, de superbes et inoubliables passages. 


4 janvier 2010

En 1981, Suzy - mais Adrienne pour l'état civil - MANTE-PROUST (1903-1986), nièce de Marcel, rédigea des "souvenirs" dont j'extrais le passage suivant :

" Je n'ai lu Proust qu'après mon mariage parce que Marcel trouvait que ce n'étaient pas des livres pour jeunes filles ni même pour jeunes femmes. Il avait dit à Valentine Thomson, sa cousine, qui était elle-même un écrivain, que ce qu'il écrivait n'était pas du tout pour elle. Il considérait que ses livres étaient inconvenants. C'est incroyable aujourd'hui qu'il pensât cela.

Quand je l'ai lu, j'ai été éblouie ; c'était encore plus extraordinaire que ce que je croyais. Je ne comprends pas encore à l'heure actuelle où je l'ai lu plus de douze fois qu'on puisse prétendre que la Recherche est si difficile qu'on ne peut pas la lire. Papa (donc Robert Proust, frère de Marcel) s'en étonnait autant que moi, il disait en riant : " Le malheur c'est qu'il faut que les gens soient très malades ou se cassent une jambe pour avoir le temps de lire la Recherche. " Évidemment, il faut du temps pour lire, mais on lit bien Balzac ou Tolstoï.

Et pourtant maintenant j'ai l'impression que de plus en plus les gens lisent Proust, surtout depuis qu'il est paru dans le livre de poche. Je me suis battue sept ans pour que la Recherche paraisse en livre de poche. J'entends encore Marcel disant à mon père : " Tu comprends, je voudrais que mon livre soit vendu dans les gares. "

Extrait de "Marcel PROUST et les siens" par Claude Francis et Fernande Gontier - Plon, 1981.  

                                                              Pierre HENRY

                                                               27 avril 2020

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